Préparation des chantiers de construction
Dernière mise à jour : 25 mars 2018
Matérialisation de l'emplacement et du profil des forts sur le terrain.
L'implantation de chaque fort détaché de Strasbourg fait l'objet de sondages et de piquetages sur le terrain. La matérialisation de l'emplacement des forts est en effet réalisée par la mise en place de piquets et de perches en bois représentant le gabarit et le profil de chaque ouvrage. Le centre de l'emplacement de l'ouvrage est muni d'une tour en bois avec une plateforme surmontée d'une balise. Ce dispositif permet d'aligner à distance les différents forts détachés.
Futur chantier du Fort XI (Fort Kirchbach) à Neumühl sur la rive droite du Rhin
Journal le Monde Illustré de 1874 (Collection MJR)

Direction et surveillance des travaux.
Après la guerre de 1870-71, le service des « Fortifications » prussien garde son organisation antérieure et gère désormais toutes les places fortes de l'Empire. Le Generalmajor von Biehler, chef de la 3e inspection des ingénieurs et du 3e département du Comité des Ingénieurs à Berlin, supervise la construction de la nouvelle ceinture de fortifications de Strasbourg et dans ce cadre, fait réaliser un plan type de fort détaché, à partir du plan projet du fort n°V, actuel fort Frère. On construira en Allemagne à peu près 70 ouvrages qui s'inspireront de ce plan et c'est pour cette raison que l'on parle de forts de type « Biehler ».
Biographie du général von Biehler
Hans Alexis von Biehler est né le 16 juin 1818 à Berlin. Il est le fils du médecin berlinois et conseiller de santé « Sanitätsrath » Johann Friedrich Theodor Biehler (1785-1850) et de son épouse Luise Charlotte née Woderb ?-1867). Après sa scolarité au Realgymnasium de Cologne il entre le 1er octobre 1836, en tant que sapeur « Pionier » dans le détachement du génie de la Garde « Garde-Pionierabteilung » de l'armée prussienne. Après la formation dans l'école d'Artillerie et des Ingénieurs il a été affecté au 2ème détachement du Génie « 2. Pionierabteilung », au sein de laquelle il a été nommé « Adjudant », c'est-à-dire chef de cabinet du commandant du détachement. Il est détaché à Paris à partir du 1er avril 1852 pour apprendre la langue française et est nommé capitaine le 1er avril 1852. Au début de la guerre allemande il occupe la fonction de 1er officier ingénieur à l'état-major général du Corps de la Garde « 1. Ingenieuroffizier ». C'est à ce poste qu'il est promu colonel le 8 juin 1866 et qu'il participe à la guerre, notamment aux combats près de Burkersdorf et Königinhof, ainsi qu'à la bataille de Königratz. Il épouse à Berlin le 9 novembre 1863 Marie Albertine Adelheid Emilie von Kleist (1837-1922), fille du Generalleutnant Franz von Kleist, et il aura trois enfants : 1867 Hans von Biehler, 1870 Alexis von Biehler et 1873 Maria von Biehler. Il occupe le poste de directeur du Génie à Mayence de 1863 à 1865. Lors de la guerre franco-allemande de 1870-1871, dès la mobilisation il commande en tant que général de brigade « Generalmajor » le Corps des ingénieurs et du Génie de la 1ère armée allemande. Il participe notamment aux combats à Colombey, Gravelotte, Amiens, à Saint-Quentin, aux sièges de Metz et de Verdun. Au cours de ce conflit il est décoré de la croix de fer de 2ème classe puis le 2 décembre 1870 de la Croix de fer de 1ère classe. Il est anobli le 16 juin 1871, compte tenu de ses états de service. Il commande la 3ème inspection du Génie à Berlin vers 1871-1873. C'est à ce titre qu'on lui attribue le projet de nouveau type de fort détaché, sur le modèle du fort V de Strasbourg, ancien Fort Grossherzog von Baden, actuel Fort Frère. Ce sont près de 70 forts qui seront construits d'après ce modèle, désormais appelé fort type « Biehler ». Les forts détachés de ce type ont été érigés à Cologne, Ingolstadt, Königsberg, Mainz, Metz, Posen, Küstrin, Spandau, Strasbourg, Thorn. Il est nommé « königlicher preussischer General der Infanterie » (général de corps d'armée) et inspecteur général du corps des ingénieurs, du Génie et des forteresses de l'empire allemand de 1873 au 3 novembre 1884. Dans son ouvrage Herrmann Frobenius a sévèrement critiqué von Biehler, car il refusait la généralisation de l'emploi de la fortification cuirassée et que personne n'osait remettre en cause son autorité. Il est décoré de la couronne de fer de 1ère classe le 18 décembre 1877 et de la grande croix de l'ordre du mérite militaire bavarois le 27 novembre 1877. Le 26 janvier 1879 il est décoré de l'ordre de l'aigle rouge de 1ère classe et le 19 juin 1879 de la croix du Wurtemberg. Le 25 novembre 1880 il est nommé Grand officier de l'ordre d'Aviz, et grande croix de l'ordre d'Albert. Compte tenu de son état de santé, il est mis à la retraire le 3 novembre 1884. Le 1er octobre 1886 il fête encore son 50ème anniversaire de service « Dienstjuliläum » et il décède le 30 décembre 1886 à Berlin - Charlottenburg, à l'âge de 68 ans.
A Strasbourg, les premiers travaux d'entretien des anciennes fortifications et de construction des nouvelles sont dirigés en 1871-1872 par un officier du génie allemand et ingénieur de la place, l'Oberstlieutenant (lieutenant-colonel) Grund. Toutefois, compte tenu de l'ampleur des travaux, la presse militaire allemande annonce en août 1872, qu'une commission spéciale est créée provisoirement sous le nom « Inspection impériale des nouvelles fortifications de Strasbourg », commandée par le colonel Klotz du corps des ingénieurs militaires. Ces deux officiers ont d'ailleurs signé les divers plans projets de 1872.
Sur le terrain les différents relevés et plans du terrain nécessaires à la construction des forts détachés de Strasbourg sont confiés aux gardes du génie appelés « Wallmeister ». Ils s'installent dans les villages proches des chantiers de construction dès les mois de mars et avril 1872 et commencent à dresser des plans détaillés des villages qui sont soumis aux servitudes militaires.
Wallmeisterhaus près du Fort Ney © MJR Avril 2013
Ultérieurement, pendant la construction des ouvrages de fortification, ils sont chargés de surveiller les chantiers. Certains Wallmeister sont spécialisés dans le domaine des communications, notamment du réseau de télégraphie souterraine installé après les travaux de gros œuvre. Après sa construction, chaque ouvrage sera confié à un Wallmeister, qui en assure l'entretien de la partie gérée par le service des fortifications. Ce dernier va d'ailleurs ériger des maisons de garde du génie dites de « Wallmeister » pour héberger ces gardes et leurs familles à proximité des ouvrages de fortification. Actuellement trois de ces maisons sont encore visibles, à proximité du fort Ney au nord de la forêt de la Robertsau et à Wolfisheim près du fort Kléber, et une autre près du parc de l'Orangerie à Strasbourg.
Wallmeisterhaus près du parc de l'Orangerie à Strasbourg © MJR Avril 2013.
Adjudication des travaux
Forts détachés
En règle générale, la construction des forts détachés de Strasbourg a été confiée par les autorités militaires allemandes à des consortiums d'entreprises de construction par une procédure d'adjudication publique. La construction des forts détachés a été répartie en trois lots initiaux adjugés successivement pour les mises en chantier de 1872, 1873 et 1874 :
Mise en chantier de 1872 :
Construction de 5 forts détachés à fossé sec, sur la rive gauche du Rhin.
Adjudication du 12 février 1872.
Fort II, Fort Reichstett, Fort Moltke, actuel fort Rapp ; construction adjugée par la société Pathe, Jerschke & Schneider.
Fort III, Fort Mundolsheim, Fort Desaix, actuel fort Desaix. Société travaillant sur le site : entrepreneur Uffinger.
Fort IV, Fort Niederhausbergen, Fort Veste Kronprinz, actuel fort Foch. Maitre d'œuvre : ingénieur Widmayer.
Fort V, Fort Oberhausbergen, Fort Grossherzog von Baden, Fort du Maréchal Pétain, actuel fort Frère. Construction adjugée par la société August Pasdach & Cie.
Fort VI, Fort Prinz Bismarck, Fort Wolfisheim, actuel fort Kléber : construction adjugée par la société August Pasdach & Cie.
Construction d'un fort à fossé sec, sur la rive gauche du Rhin : aucune adjudication n'a été trouvée pour la construction du fort VII.
Fort VII, Fort Holtzheim, Fort Kronprinz von Sachsen, actuel fort Joffre.
Mise en chantier de 1873 :
Construction d'un lot de 3 forts détachés à fossé plein d'eau, sur la rive gauche du Rhin ;
Adjudication du 20 décembre 1872 à la société Pathe, Jerschke et Schneider.
Fort I, Fort Wantzenau, Fort Fransecky, actuel fort Ney.
Fort VIII, Fort Graffenstaden ou Fort Ostwald, Fort Tann, actuel fort Lefèbvre.
Fort IX, Fort Illkirch, Fort Werder, actuel fort Uhrich.
Mise en chantier de 1874 :
Construction de 3 forts détachés à fossé plein d'eau, sur la rive droite du Rhin.
Fort X, Fort Sundheim, Fort Kirchbach.
Fort XI, Fort Neumühl, Fort Bose.
Fort XII, Fort Auenheim, Fort Blumenthal.
Mise en chantier de 1876 :
Construction d'un petit fort détaché à fossé en eau.
Fort IXa, Fort Am Altenheimerhof, Fort Schwarzhoff, actuel fort Hoche.
Mise en chantier de 1879 :
Construction d'un petit fort détaché à fossé sec.
Adjudication du 10 septembre 1876.
Fort IIIa, Fort Mundolsheimer-Kopf, Fort Podbielski, actuel fort Ducrot.
Préparation des chantiers et aménagement des colonies de travailleurs
Avant le début de la construction, les entrepreneurs commencent par la préparation du chantier. Ces premiers travaux consistent à creuser les puits du fort et à aménager les chemins d'accès. Parallèlement à ces premiers travaux, on installe une colonie de travailleurs à proximité des chantiers. Ces colonies comportent un certain nombre de constructions légères destinées à héberger et alimenter les ouvriers du chantier de façon autonome. Les cantines sont souvent constituées de baraques en bois ou de constructions légères en colombages et briques, d'une longueur allant jusqu'à 80 ou 90 m et large de 9 à 10 m, parfois érigées avec un étage, et certaines étant munies d'une cave maçonnée. Elles permettent de restaurer et de loger les travailleurs mais également de subvenir à tous leurs besoins.
Quelques entrepreneurs, gérants de ces cantines, sont connus :
Fort I : M. Geißler.
Fort II : M. Nikolaus Gorius.
Fort III et IV : les restaurateurs Cron & Frankenbacher.
Fort VI : M. Kirchnick & Co.
Gravure représentant le chantier de construction du Fort III (actuel Fort Desaix) vers 1872. Collection MJR

L'installation des personnels du chantier dans une « colonie » permet, d'une part d'éviter les contacts entre personnels du chantier et la population locale, pour ainsi prévenir toute activité d'espionnage, et d'autre part, une mise à disposition quasi permanente des travailleurs. Ces cantines sont revendues à l'issue des travaux de gros œuvre.